Colette Brunschwig
Née au Havre en 1927, Colette Brunschwig est âgée d’une vingtaine d’année lorsqu’en 1945 elle s’installe à Paris pour étudier la peinture. Marquée par un conflit qu’elle a vécu dans la clandestinité et par le traumatisme de la Shoah, elle fait son apprentissage durant cet immédiat après-guerre qui s’apparente à un « an zéro » pour les artistes confrontés à l’ampleur de la catastrophe. Comme de nombreux intellectuels juifs survivants avec lesquels elle entretiendra des liens – Emmanuel Levinas dont elle suivra les séminaires, l’helléniste Jean Bollack qui fréquentera son atelier et avec qui elle correspondra, Paul Célan dont elle illustrera plus tard la poésie – Colette Brunschwig cherche alors à surmonter, à transcender l’anéantissement.
Sensibilisée aux problématiques de l’abstraction par André Lhote (1885-1962), dont elle suit l’enseignement de 1946 à 1949, l’artiste trouve dans la peinture abstraite une voie possible et même une finalité logique, à savoir l’aboutissement des tendances à l’œuvre dans l’impressionnisme et le cubisme. Sa réflexion la conduit de Monet (1840-1926) à Malevitch (1879-1935), des Nymphéas au Carré blanc sur fond blanc, de la dissolution des formes à l’abolition totale de l’image et de toute représentation. A la fin des années 60, elle découvre la peinture de la Chine ancienne, les œuvres des peintres lettrés tels Wang Wei (701-761), Mi Fu (1051-1107) ou Shitao (1641-1719), dont elle admire le rapport fondamental à l’écriture ainsi que la conception esthétique et philosophique du vide (comprise non dans une opposition au plein mais dans une complémentarité entre la forme et l’informe).
Liant ainsi métaphysique juive, abstraction moderne et pensée orientale du néant, l’œuvre de Colette Brunschwig occupe une place singulière dans l’avant-garde abstraite. Si l’artiste se sent d’abord proche de l’abstraction lyrique, attirée par la possibilité d’un art qui s’approche de l’écriture, de la production de signes, elle va refuser l’instantanéité du geste pour introduire dans son travail une dimension temporelle, un jeu de superpositions, d’accumulations et de reprises à travers lesquelles se dégage la forme. Chaque geste vient en couvrir ou en prolonger un autre. Hachures, traits, lavis, pochoirs s’additionnent par strates, donnant naissance à des profondeurs, à cette « troisième dimension » chère à l’artiste. Les techniques s’entremêlent : encre de chine, acrylique, aquarelle, gouache, huile. Des motifs récurrents émergent, s’effacent : cercles et rectangles structurant l’espace sans qu’il soit question de composition géométrique. Le tout dans une palette qui n’a jamais exclu la couleur mais lui a souvent préféré le noir et surtout le gris dans toutes ses nuances.
Œuvre à part, en marge des autres courants. Mais pas isolée dans le siècle, comme en témoigne les compagnonnages qui lièrent l’artiste à Pierre Soulages (1919-2022), André Marfaing (1925-1987), Pierre Courtin (1921-2012), Árpád Szenes (1897-1985), Etienne Hajdu (1907-1996) ou encore Charles Maussion (1923-2010). Exposée pour la première fois en 1952 chez Colette Allendy, Colette Brunschwig a été accompagnée par plusieurs générations de galeries parisiennes tout au long de sa carrière, parmi lesquelles Nane Stern, La Roue, Clivages, Convergences et Jocelyn Wolff.
Le cabinet de dessin d’Abraham & Wolff propose une sélection d’œuvres qui couvre une période allant de 1950 à 2012, donnant à saisir toute la constance et l’unité de son travail.